Un atelier d'écriture* avec des bibliothécaires ce n'est pas commun. Quand en plus j'ai appris qu'il se tenait sous la houlette d'Alain Serres, auteur de livres jeunesse et directeur des éditions Rue du monde, je me suis précipité à la médiathèque Jacques Rivière. Avec Mathilde ma reporter images du jour, nous avons bien senti le souffle du printemps des poètes caresser nos oreilles.
"L'ALPHABET DONNE VIE A NOS PENSÉES ET A NOS ÉMOTIONS"
Elles (et si le féminin l'emportait sur le masculin en ces temps d'insurrection poétique**?) sont achaisies (assises sur des chaises) en assemblée, bloc note calé sur les genoux, stylo prêt à griffonner, attention fixée aussi fort que du sparadrap. Aujourd'hui on délivre aux professionnels quelques ficelles pour mobiliser l'imaginaire des enfants. L'enjeu consiste à "mettre en oeuvre la créativité des enfants pour désacraliser et décontracter la relation à l'alphabet. Car l'alphabet permet de donner vie à nos pensées et à nos émotions", nous résume Alain Serres.
"FABRIQUER DES VERBES, CA INTÉRESSE LES ENFANTS"
Les ateliers se déroulent en 3 temps : une explication, une consigne et un exercice en suivant. Nous arrivons sur le temps d'exercice dédié à la fabrication de verbes. "Fabriquer des verbes, ça intéresse les enfants", rappelle l'auteur jeunesse. Avec bien sûr quelques contraintes. "Car il y a deux grands bonheurs dans les contraintes d'écriture : nous obliger à trouver des choses qu'on n'aurait pas produites et... outrepasser les règles", sourit doucement Alain Serres. Au-delà de la dynamique créative qu'engendre la contrainte, elle a aussi le pouvoir de rassurer l'enfant. "En le faisant se concentrer sur les contraintes, il ne se sent pas en échec sur le contenu. La contrainte est un déclencheur."
L'OULIPO C'EST COSTAUD ET RIGOLO
Pour imaginer des contraintes aussi complexes que ludiques, rien de mieux que de suivre les maîtres de l'oulipo, "L'ouvroir de littérature potentielle". Inspirée entre autre par Raymond Queneau dans les années 60, cette association de littéraires et de mathématiciens travaille les lettres et les mots comme des images qu'ils recomposeraient à volonté mais avec force contraintes. "Jacques Roubaud est un poète emblématique de l'oulipo, raconte Alain Serres. "Il a écrit un texte en n'utilisant que les lettres contenus dans "Le petit chaperon rouge". Ah oui, on comprend mieux le challenge déjà!
Moins mathématique et plus poétique, l'exercice suivant consiste à énumérer des métiers qui n'existent pas aujourd'hui. Les filles de l'assemblée (et les garçons, oui!) sont en forme. On a bien aimé "l'éleveur d'idées, le serveur de cause, le brosseur de pétale, le professeur de liberté..."... Et Alain Serres aussi semble t- il : "encore 2 ou 3 jours ensemble, et on monte les éditions de Cenon". Chiche?
"LE MOT, TU L’ÉCRIS AVEC LE CORPS"
Ecrire des poèmes est souvent une épreuve pour les élèves, mais les jouer face à un public peut se révéler encore plus douloureux. Pour terminer cette journée d'écriture, le comédien Wahid Chakib a proposé aux bibliothécaires de pratiquer la mise en voix de poèmes, comme il le pratique dans les classes cenonnaises. "Vous faites une ronde et vous vous tenez par la main", commence-t-il. Hum, même ici chez les adultes, la gêne est palpable, le sourire un peu forcé au départ. Mais Wahid Chakib connait son sujet et les ressorts de la décontraction. De l'humour, du jeu... et une petite contrainte : "Chacun votre tour, vous allez entrer dans le cercle en mimant la consigne formulée par votre prédécesseur". Ça patine un poil au démarrage puis la sauce prend :" je fais le chat, je fais mes lacets, je bois, je regarde le ciel"... chacun s'exécute et tous rient allégrement... les choses sérieuses peuvent commencer...
* cette rencontre professionnelle était organisée par Médiaquitaine avec la médiathèque Jacques Rivière
** L'insurrection poétique", thème de l'édition 2015 du Printemps des poètes
Le printemps des poètes se poursuit jusqu'au 28 mars, le programme ici. Et pour regarder quelques vidéos de l'édition 2014, c'est ici.