Tour Watteau : le repas « d’au revoir » des habitants
« Un discours, un discours » entonnaient Alain, Hervé et Véronique, regards portés vers Aïcha. Ne pouvant plus résister, cette dernière se lève et prend la parole : « Là on se voit tous les jours. On se dit bonjour, On se dit ça va ! Les chiens ça va ? La santé ça va ? On papote, on rigole, on a toujours un mot gentil, agréable, en fait" explique Aïcha, qui poursuit :" Et ça on va plus l’avoir. C’est sûr, on va se voir mais pas comme avant. Alors, on a fait un bon couscous pour votre plaisir ». Ces propos décrivent des actes symboliques, verbaux et gestuels illustrant un rituel de bienséances. Des bienséances qui confortaient, au quotidien, les liens sociaux et le vivre-ensemble. L’émotion se lisait sur le visage des convives de Aïcha, cheville ouvrière du repas. Avec ses voisins, ils vont laisser leurs empreintes sur les murs de la tour Watteau.
« Que voulez-vous ?" ; " Une cuisse de poulet où un blanc de poulet ?" ; "La sauce est-elle piquante ?" ; "Qui veut du vin ?" ; "Moi, j’aimerai bien le goûter." C’est le ton « enjoué » que l'on entendait dès qu'on empruntait l’ascenseur où les escaliers le jour de la fête. Ambiance inhabituelle dans le couloir du 2ème étage de la tour de 18 étages. « C'est maintenant, arrivés à la retraite, qu'on se parlent, qu’on se voient » explique Alain puis Eric, qui est assis en face, lui emboîte le pas : « Moi, pendant 40 ans, à 5 heures du matin j'étais debout, je partais de très bonne heure le matin. Donc, aujourd’hui c’est l’occasion de discuter… ». Non éloignée d'eux, Michelle s'immisce dans la conversation : « Puisque nous allons nous séparer il faut laisser dans le passé les embrouilles que certains d’entre nous ont eu et retenir les liens forts que nous avons créés à Watteau." Preuve que le repas était le moment attendu pour aplanir leurs conflits.
Les aléas de la vie m’ont conduite à Watteau
A peine les assiettes de couscous, garnies de légumes et de viandes, servies, les voisins de Watteau se changent de de sujets pour évoquer leur trajectoire de résident. Linda, déjà relogée à Lormont, a fait le déplacement pour revoir ses anciens voisins de pallier. "J’ai d’abord habité à Lormont, puis mon mari a acheté une maison à la campagne. Malheureusement il a eu le cancer dont l’annonce a été faite le jour où j’ai signé mon premier CDI." Submergée par l'émotion, elle s'arrête de parler avant d'ajouter, la gorge serrée :"Après sa mort, je ne pouvais plus y rester. Les aléas malheureux de la vie m’ont obligée donc à venir m’installer ici." dit Linda dans un état affectif causé par un mélange d'événements vécu durant son parcours résidentielle entre la ville et la campagne ; et de la campagne à la ville.
Toussaint, lui, évoque les raisons économiques qui l’ont poussé à venir s'installer, en 2011, à la Saraillère : « Je n'avais pas un emploi stable. J'étais intérimaire et me suis dit que je ne vais prendre de risques à prendre un loyer trop élevé ailleurs. J’avais préféré rendre un appartement dont le loyer est abordable. »
Alain, retraite depuis 7 ans et présent depuis plus de 25 ans dans la tour, parle lui du beau cadre urbain et de l'environnement verdoyant et des grands appartements de la tour Watteau. Des récits, aussi singuliers les uns des autres, les ont rapprochés avant leur séparation.
Chaleur humaine, solidarité… atouts de la tour Watteau
Les conversations autour du repas allaient bon train, avec en toile de fond des questionnements sur la sécurité dans la tour. "Les mauvaises choses c'est l'insécurité dans laquelle on se trouve encore alors aujourd'hui. La population n'est plus la même. Il y a plus de bandes, des délinquants qui se sont formés. Ce qui fait qu'aujourd'hui, le quartier ne me correspond plus." dixit Michelle. La distribution spatiale des incivilités est corrélée avec la présence des jeunes dans les espaces communs. Si certains ont parlé de dégradations, de lacérations, de dépôt d’ordures à côté des bacs dédiés, d’autres soutiennent que ce phénomène est « générationnel » et qu’il fallait faire avec. Mais, pas de quoi faire vaciller pour autant sur l’image positive qu’ils ont sur la vie sociale, la chaleur humaine et la solidarité, atouts de la tour de 18 étages…
Un relogement d’espoir, arrivé à point nommé
Les avis sont unanimes : l’opération du renouvellement urbain est une opportunité pour changer de logement, de quartier, de ville. « J'ai une proposition déjà depuis l'année dernière mais je n'avais pas donné une suite je n'avais pas souhaité donner suite parce que je trouvais l'appartement étroit. Même si le cadre était magnifique. » rétorque Toussaint
« J’ai une proposition mais qui ne correspond pas du tout à ce que j'ai demandé. Au niveau de la superficie oui, mais pas au niveau du lieu, du quartier. » évoque Michelle
« Moi j’avais vu un appartement qui se libérait. C’était au dessus du local de la police municipale, mais puisque je ne voulais pas trop m’éloigner du quartier. Ca tombe bien, j’ai une proposition aux Néréïdes, j’en suis contente » avance Claudine. Amenés à être relogés, ils vont, selon les clauses de la charte de relogement du Pru, bénéficier d’un suivi individuel pour leur relogement. L’ambiance musicale sur les sonorités celtiques et afro antillaises, sur lesquelles les voisins de Watteau ont rivalisé, a clôturé le repas d'adieu.
Pour en savoir plus, vous pouvez voir le reportage vidéo
Depuis le dernier point de situation du relogement en date du 8 février 2021, 79 locataires de la tour Watteau ont déjà été relogés sur les 88 logements.