Le Petit Chaperon rouge, la musique classique, la mythologie… à l’épicerie sociale et solidaire
« Avec le Panier des 4 saisons, épicerie sociale et solidaire du CCAS, nous menons une médiation en profondeur avec des personnes qui sont en grande difficulté sociale. Voilà quatre ans maintenant que je vais les voir une à deux fois par mois. Je n'emporte pas de livres : je conte, je narre sans support. Il y au un gros travail à faire de mise en confiance par rapport à la culture… Il existe un fossé entre la culture et ces personnes alors qu’il y a un manque et un réel désir de culture. Mais il a fallu d’abord qu’ils en prennent conscience.
• Une forme d’envol loin du quotidien…
Pour faire prendre conscience de ce manque, j’ai raconté un conte que presque tout le monde connaît « le Petit Chaperon Rouge », une histoire universelle avec différents degrés d’interprétation, d’implication de chacun d’entre-nous dans cette histoire. Une histoire qui fascine au travers des générations et des pays aussi… En m’écoutant, ils se sont alors rendu compte qu’ils n’avaient pas rêvé comme ça, qu’ils ne s’étaient pas évadés… depuis des années ! Loin de leurs soucis, loin des pesanteurs du quotidien, un quotidien qui est très lourd pour eux. Ils se sont aperçus que oui, tiens, écouter un conte et échanger après, ça comblait un manque, ça apportait un bien-être. Une forme d’envol loin du quotidien…
Il y a quelques messieurs dans ces ateliers mais ce sont surtout des femmes seules, souvent, chargées de famille, avec des enfants qui participent aux ateliers ; c’est un temps pour elles, pour parler de leurs soucis mais aussi pour se faire du bien en écoutant des contes, des histoires …
• La musique parle d’une autre manière que le langage des mots
A la fin de la première année, en juin, nous leur avions proposé une balade mystère, au parc du Cypressat… Nous nous sommes installés dans une clairière, à l’écart… Avec Jacques, musicien (de l’école de musique), à la flûte traversière et moi au chant, nous leur avons offert un concert surprise… Un concert de musique classique exclusivement… Personne ne s’y attendait ! Et toutes et tous ont été littéralement fascinés, transportés… Alors que si nous les en avions informées avant, certain•e•s auraient peut-être émis des réserves… C’était un très joli moment… Que nous avons réitéré l’année suivante.
La musique parle d’une autre manière que le langage des mots, la musique touche des parties de notre inconscient, de nos sentiments, extrêmement profondes et difficiles à exprimer…
• Pandore, Dédale, le Minotaure, Icare…
Avec le confinement, ces personnes se sont retrouvées en grande difficulté à cause de la rupture très brutale des activités proposées… beaucoup d’angoisse, beaucoup d’incertitude… Et j’ai proposé d’allier un atelier arts plastiques à l’atelier conte. Donc nous avons fait 3 ateliers conte et dessin : je raconte en lecture théâtralisée, en bougeant beaucoup, pour les surprendre, pour les saisir… Puis ensuite, avec le dessin, nous tentons de poser certains sentiments ressentis pendant le confinement. Je crois que j’avais fait des choix assez pertinents (enfin… j’espère) : le mythe de Pandore (je propose souvent de la mythologie grecque), la boîte de Pandore, avec l’espérance enfermée au fond de la boîte – c’est important de parler d’espérance, de comment repartir, de comment rebondir… Et avant, je leur avais raconté le mythe du Minotaure, de Dédale et d’Icare pour partager autour du thème de l’enfermement. Il y avait une progression : comment après avoir été enfermé, on pouvait quand même espérer et se sentir libre à nouveau … Je crois que ça les a aidés à libérer tous ces sentiments qu’ils avaient du mal à mettre en mots, à partager… Avec des crayons de couleurs, des feutres, ils ont dessiné ce que c’est pour elles et eux d’être enfermé•e•s puis ensuite de se sentir libre … Il y a eu pour certains un petit temps de latence avant d’oser dessiner sur le papier blanc mais une fois lancés… Après chacun a présenté son dessin aux autres et nous les avons affichés dans le local du Panier des 4 saisons. De cette séquence, est née l’idée que le théâtre pourrait aider à poser et à exprimer ses problèmes, à cette prise de confiance en soi…
Et du coup, nous avons travaillé l’expression corporelle: oser avancer, oser regarder les autres… Nous avons échangé sur le fait que porter un masque limite énormément la communication faciale des sentiments qui devient plus compliquée, qu’aller vers le gel hydroalcoolique pour se laver les mains, n’est pas un geste anodin. Il y avait des personnalités très timides qui se sont révélées très extraverties !
Au Foyer du Cypressat : Des contes traditionnels, des contes de différents pays, des contes d’animaux…
Je vais aussi au Foyer de vie du Cypressat, à la rencontre d’adultes handicapés mentaux, trisomiques. Entourés de personnels extrêmement compétents et mobilisés, ils bénéficient d’une grande variété d’ateliers. J’y travaille depuis 3 ans maintenant avec Denis, un éducateur spécialisé avec qui on se comprend bien.
Et avec eux aussi, je lis des contes. C’est très important car plusieurs d’entre eux ne savent pas lire. Pour certains, l’accès au langage est délicat, certains ne voient pas bien. Donc j’insiste beaucoup sur la gestuelle, le mime, sur l’intonation de la voix. Après, nous avons un temps d’échanges ; l’histoire les invite à parler de leur quotidien, des problèmes du foyer, des problèmes entre eux… Ils ont des relations très fortes et contrastées.
• Et nous parvenons ainsi à parler de la peur, de l’enfermement, de la liberté…
C’est à partir de ces ateliers, que je les invite à venir aux spectacles à l’espace Simone Signoret. Avec l’éducateur qui les accompagne en minibus, ils sont venus voir le dessin animé « Le livre de la jungle » : un moment d’intenses émotions dont ils parlent encore plusieurs mois après…
Je choisis dans les contes traditionnels, les contes de différents pays, les contes d’animaux ce qui me semble le mieux adapté à leurs besoins, à leurs envies… Il y a une résidente qui adore les ours… Et quand j’ai commencé ces ateliers, au tout début, le premier conte qu’ils m’ont demandé est « La chèvre de M. Seguin », un animal attaché, qui a besoin de liberté et qui meurt d’avoir été trop libre … J’ai pensé que c’était un choix très révélateur de leur ressenti… Et nous parvenons ainsi à parler de la peur, de l’enfermement, de la liberté… En partant de l’histoire des 3 brigands, nous avons pu aborder des notions telles que ce qui appartient à l’un, ce qui appartient à l’autre, ce que signifie de rentrer dans la chambre de l’autre sans frapper. Ou encore échanger sur comment ils ressentent l’extérieur, comme un danger ou au contraire, sans aucun danger… Un résident s’est perdu un jour, personne ne parvenait à le retrouver car il avait pris le bus dans le sens contraire et du coup les autres ont été très marqués par cet expérience.. Certains ont eu du mal à ressortir… Et là, j’ai raconté « Le petit Poucet » dont le père perd ses enfants au milieu de la forêt…
• Des rencontres entre le Foyer du Cypressat et le Centre La Ré d’Eau
Au centre La Ré d’Eau, le lis des contes pour les enfants de 3 à 6 ans, en lien avec la programmation de spectacles de l’Espace Signoret. Et comme le centre et le foyer du Cypressat sont très proches, géographiquement, j’ai eu l’idée de susciter des rencontres pour vivre les contes ensemble. Nous l’avons fait grâce aux animateurs de La ré d’Eau et à Denis. Le thème c’est la rencontre de la différence, la rencontre de l’autre.
Il y a eu 4 rencontres, en deux temps : deux autour du conte et ensuite 2 rencontres d’arts plastiques, en alternance. Les ateliers contes se déroulent à La Ré d’Eau, les ateliers artistiques se passent au Foyer. D’abord enfants et adultes écoutent le conte puis la séance suivante, ils dessinent des personnages issus de l’histoire, colorient, créent des collages avec les photos qui ont été prises pendant le conte.
Lors des ateliers conte, l’écoute, la détente, l’impatience de faire connaissance, puis de se revoir créent une forte complicité entre les deux groupes ; des sympathies, des liens d’amitié voient le jour et se renforcent à chaque rencontre. Certains résidents, qui avaient peur de sortir du Foyer, prennent confiance et acceptent de découvrir le Centre de Loisirs.
Lors des ateliers artistiques, chacun est partie prenante pour élaborer des panneaux qui retracent ce qui s’est passé lors de l’atelier conte : de quel conte il s’agit, quels personnages on a découvert. Les photos prises par l’éducateur et les animatrices permettent de fixer ces moments dans le temps, de donner une chronologie à cet échange. Les enfants apprécient l’aide accordée par les résidents, et ces derniers sont stimulés par les gestes sûrs des enfants : chacun fait de son mieux et l’entraide apparaît spontanément.
Les résidents n’hésitent pas à dire aux enfants, lors des goûters, que « s’il vous plaît, merci » sont des mots indispensables dans la relation aux autres, et que faire trop de bruit empêche de s’appliquer à colorier. Le vivre –ensemble est mis en place par les participants eux-mêmes.
Lecture à haute voix dans les jardins de la résidence Gambetta
« En partenariat avec le Centre communal d’action sociale (CCAS), j’anime depuis 2016, un groupe de lecture, 2 fois par mois, à la résidence Autonomie Gambetta, fidélisant une dizaine de séniors résidents.
Ce matin, par exemple, nous étions dehors, pour respecter les consignes sanitaires (c’était avant le re-confinement de cet automne) … Je lisais à haute voix, sans théâtraliser. Juste avec ma voix, je fais vivre, des mots, une histoire, des personnages. Je dois être à la fois très présente et assez neutre pour laisser une part d’imaginaire à celles et ceux qui sont assis en face de moi…
Je choisis une histoire ancrée dans l’Histoire, qui permet de faire découvrir une région. Ceux qui y sont déjà allés, aiment alors en parler aux autres… Je choisis minutieusement des extraits pour que la continuité narrative, l’intrigue et les personnages restent compréhensibles. Et aussi en fonction des échanges avec le groupe et ses centres d’intérêts.
La lecture à haute voix répond à un besoin chez certaines personnes qui n’ont pas ou ont perdu le goût de lire seules, de choisir un livre … D’autres ne savent pas lire. Elles ont besoin qu’on les accompagne. Le rôle du médiateur c’est d’accompagner dans la lecture et avec la lecture. Certaines personnes furent de bonnes lectrices mais avec l’âge, les difficultés, parfois la maladie, elles n’ont plus l’énergie ou la capacité de lire.
Ce rythme bi-mensuel permet aussi de travailler la mémoire car certain•e•s ne se souviennent plus de ce que j’ai lu 2 semaines auparavant. Je n’hésite pas à répéter, à re-situer le passage, ça fait partie du travail. Ces temps de lecture sont aussi des temps d’échanges très précieux.
Un des livres que nous avons beaucoup partagé cette année est : Le Complot des indienneurs de Marie Kuhlmann.* »
En maternelles : Contes théâtralisés, passerelles vers les spectacles
Dans les écoles maternelles principalement, Véronique Genetay travaille en collaboration avec Elodie Guegaden, responsable de l’Espace Simone Signoret.
« Là, avec des contes théâtralisés, nous préparons les élèves à des spectacles… Pour qu’ils profitent pleinement d’un plaisir partagé avec les comédiens lors de la représentation.
• Sommeil et doudous
Par exemple, avant un spectacle qui parlait du sommeil chez l’enfant, de l’endormissement, nous avions choisi de travailler sur le doudou, sur son rôle dans l’endormissement, sur ce qu’il représente pour l’enfant... J’avais choisi des histoires sur ce thème et les enfants de l’école Alphonse Daudet ont écrit de petites phrases avec les animateurs des Francas, en relais lors des temps d’accueil périscolaire / ateliers pédagogiques (TAP). Les animateurs savent mobiliser les enfants et les parents car des parents viennent à ces temps de médiation contée, par exemple à l’école Michelet. Ils s’intéressent aux contes, puis au spectacle et certains parviennent à accompagner leur enfant au spectacle… Car ce n’est pas nécessairement facile de pousser la porte d’un théâtre !
• Les petits ont besoin de quelque chose de visuel, de tactile…
Avec les petits, je n’ai pas de livre, pas d’album, pas de support. Je mémorise l’histoire, le conte que j’ai choisi. Et j’improvise aussi… Je me déplace, je théâtralise, j’occupe l’espace, je deviens un personnage… ça c’est le côté « art dramatique ». Il faut savoir changer de voix, moduler l’expressivité de la voix, du visage, du corps… ça demande beaucoup d’énergie … Mais les bénéfices que les enfants en retirent, c’est un grand moment de partage, de rencontre autour d’émotions…
Afin de captiver l’attention des enfants, qui sont très jeunes en maternelle, j’amène toujours des objets qui correspondent à l’histoire. Pour le conte sur les doudous, j’avais amené 2 gros nounours et d’autres petits objets qui rappellent le sommeil… Qui évoquent la tendresse... Un doudou abîmé, abandonné a été adopté par une nouvelle petite fille. Ces objets rattachés à une histoire retiennent leur attention car les petits ont besoin de quelque chose de visuel, de tactile.
Ce qui est très émouvant c’est de percevoir qu’ils sont toujours captivés par ce qu’on leur raconte, ce qu’on leur propose. Quelque soit le sujet. Ça prouve qu’il y a un grand besoin. Et quand ils viennent voir le spectacle, ils sont tout contents de nous retrouver, tout excités « on t’a vue, tu es venue dans notre école ! »
En cette année scolaire 2020-2021, nous avons commencé un travail très engageant à l’école maternelle Gambetta … Une performance et des échanges intenses avec les enfants ! »
Oser découvrir sa voix, la travailler, oser la donner…
J’adore les rencontres musicales dans des lieux un peu insolites, intimistes. C’est absolument magnifique parce que moi, j’ai un répertoire d’opéra, des airs qu’on pense réservés à une élite alors qu’ils touchent chacun d’entre nous en profondeur. Je tiens à transmettre le plaisir de cette musique qu’on dit élitiste et qui ne l’est pas. C’est si important…
La voix … on a tous une voix et il faut oser la découvrir, la travailler, il faut oser la donner…. Une partie de soi que nous avons souvent du mal à connaître et à appréhender. Beaucoup de personnes sont complexées par leur voix et certain•e•s doivent faire un très gros travail d’appropriation de leur propre voix . C’est un puissant outil de communication avec les autres, le plus intime et personnel, incarné, lié au corps. On reconnaît quelqu’un à sa voix. C’est une partie très intime, très personnelle… de chacun d’entre nous.
• Il faut absolument entretenir sa voix
J’ai été bercée par la musique classique et pratiqué le piano pendant 10 ans. Je me suis formée au chant lyrique et à l’art dramatique pour transmettre des émotions, des sentiments.
Mon professeur de chant me fait travailler depuis 12 ans. C’est une dame qui a chanté sur la scène du grand théâtre de Bordeaux. Son père était baryton. Elle connaît la scène et l’a pratiquée. Je vais la voir tous les mois, elle m’accompagne au piano pour la justesse de ma voix et pour travailler l’expressivité. Je vocalise tous les matins… Il faut absolument entretenir sa voix. La développer, travailler le souffle, la respecter et en prendre soin…
Parfois, je chante dans un concert. Mais c’est un acte de don gratuit… Je donne ma voix pour des actions caritatives, des concerts liés à la préservation du patrimoine bâti
• Qu’est ce que je préfère chanter ? Mozart !
Tous les rôles de soprano léger, de personnages qui ont une voix très fine, très légère, de jeunes filles qui sont amoureuses dans des histoires qui se terminent mal… En général, elles meurent à la fin… C’est aussi Léo Delibes Lakmé : « l’air des clochettes », un air virtuose où la jeune fille raconte une légende… L’air d’Olympia dans Offenbach. Que j’ai chanté pour l’inauguration de l’Espace Signoret et qui allie voix et gestuelle d’automate… Et encore les amoureuses très jeunes comme Juliette…
Les rôles de soprano qu’on trouve chez Verdi, ce n’est pas pour moi, car ma voix n’est pas assez pleine… Il faut accepter sa voix et chanter avec la spécificité de sa propre voix. J’aimerai chanter certains airs d’opéra mais je ne peux pas. Il y a des rôles qui ne seront jamais pour moi, Carmen par exemple. On sait qu’on a tous nos limites, Il faut faire avec sa voix… »
* Le Complot des indienneurs / Marie KUHLMANN
Dans le contexte troublé de 1815, un brillant étudiant résout, seul, une affaire criminelle au sein de la confrérie très concurrentielle des indienneurs (les imprimeurs sur étoffes) alsaciens… On découvre l’Alsace de 1815 dans une petite ville où 2 assassinats sont commis. En Alsace, en 1816, un jeune étudiant résout seul une affaire criminelle dans le milieu des indienneurs, les imprimeurs sur étoffes « Les indiennes »… Florent Schoebel, brillant étudiant formé à l’esprit des Lumières, est envoyé en mission officieuse à Guebwiller par le lieutenant de police de Strasbourg pour enquêter sur les agissements présumés des partisans de Napoléon, exilé à Sainte-Hélène. Il y rejoint son oncle, maire de la localité. Dans cette ville où fleurissent les manufactures de textile dévolues principalement à la fabrication d’indiennes, ces étoffes de coton imprimées, un fait divers suscite sa curiosité : une jeune fille est retrouvée inanimée devant un baraquement en flammes qui servait de dortoir à des ouvrières. Accident ou acte criminel ? Lorsqu’on découvre dans la rivière un cadavre décapité, Florent fait le lien avec la première affaire. Malgré les agressions dirigées contre sa personne et l’opposition des gendarmes, jaloux de leur autorité, il va devoir mener l’enquête… Un polar historique particulièrement efficace, qui met en scène un héros charismatique et étonnant.