Il y a de l’humour, de la poésie, des abîmes métaphysiques...
Julien Sirven est artiste peintre, diplômé des Beaux-Arts de Nantes et de la Villa Arson à Nice. Ses dessins contemporains « nourris de la diversité des images d’aujourd’hui » combinent une grande variété d’approches. Des encres noires ou hyper colorées… Des blancs qui s’agrègent en des formes dansantes et rythmées entre noirceur et jubilation. Une démarche dans laquelle s’affirme une indépendance stylistique à toute épreuve. Il y a de l’humour, de la poésie, des abîmes métaphysiques qui s‘y déversent…
La main se laisse aller à tracer des mouvements insensés sur le papier, en pur lâcher prise, soumis au hasard, à la coïncidence. Puis, réorganise ce chaos de formes impulsives, en désintègre quelques-unes au passage pour en créer de nouvelles.
Rencontre avec l'artiste...
... en amont de sa double exposition à Cenon : dès le 28 janvier 2019 à l’Espace Culturel Simone Signoret. Puis du 12 février au 29 mars 2019, au Château Palmer, à l’initiative de l’OCAC.Vernissage le 12/02 à 18H30.
Dès son arrivée à Cenon, ayant quitté la région parisienne, Julien Sirven part en quête de lieux sur la ville susceptibles d’accueillir son travail. « Ayant côtoyé l’Espace culturel Signoret, j’ai imaginé que mes œuvres pourraient s’installer dans le hall d’accueil. Céline Dotigny a trouvé cela intéressant et, sensible à ma démarche artistique, elle a impulsé cette idée de parcours entre Signoret et le Château Palmer. Elle a convaincu Anne - Lise Rauzy de l’OCAC de montrer mon travail dans ces 2 lieux à la suite l’un de l’autre, comme une expo en 2 épisodes… J'en suis très heureux ! »
Quel est votre parcours ?
« 5 années de Beaux-Arts, 3 ans à la villa d’Arson de Nice, puis l’école des Beaux-Arts de Nantes et 2 diplômes. Je n’ai vraiment côtoyé l’art que dans mes études. J’avais un regard profane sur la peinture à la base. J’ai découvert l’expressionnisme abstrait, le surréalisme, les pratiques de peinture du XXème siècle et la dimension contemporaine de l’art qui est multiple. Un parcours classique au fond, en terme d’éducation du regard. »
Le dessin avant tout
"J’avais expérimenté plein de choses dans mes études : photo, sculpture, vidéo, installation. Avec une pratique de dessin cantonnée à mes carnets mais que j’avais remplis de centaines de dessin. Peu à peu, j’ai ressenti un besoin fort de ne m’exprimer que par ce medium - là, le dessin, de laisser de côté tout le reste et ce, dès les années 2000".
Quelques influences cependant ?
Expressionnisme, surréalisme, pop art, beaucoup de ses œuvres se rattachent à ces mouvements. Il y a du rythme, de la couleur, cela danse et grouille, est en mouvement perpétuel sur le papier. « Joan Miro, c’est une influence, mais il y a aussi un aspect sériel. Je mets parfois en pratique des protocoles de travail qui se reproduisent d’une œuvre à une autre, avec de petits changements qui permettent de changer d’échelle, d’appréciation d’espace par le déplacement du spectateur obligé de s’approcher ou de se reculer. Oui, l’aspect sériel est obsessif chez moi. »
Le processus créatif, un chaos organisé
« Je démarre toujours de manière fortuite, je pars sur une impulsion, un besoin de faire. Impulsion et désir font apparaître des formes qui vont se construire par mon regard. Hasard, coïncidences, impulsion, s’organisent à un moment, je prends du recul sur ce que je suis en train de produire. Je mets de l’ordre dans le désordre, puis, une nouvelle phase de désordre intervient. Ces mouvements d’humeur, de façons de travailler font que mes pièces se construisent à la fois sur un protocole et sur un lâcher-prise permanents. On ressent une tension dans mes œuvres qui vient de ce va-et-vient dans la façon de travailler. »
Des bienfaits du cadre
Julien Sirven a certes trouvé un cadre, son atelier pour s’exprimer comme il l’entend. Mais il lui faut aussi, c’est une nécessité vitale, cadrer le flux des idées et de formes encrées spontanément sur le papier. Enfin, trouver « un cadre physique aux œuvres. Mes dessins sont encadrés, j’y tiens vraiment. Sans être peintre, je produis des tableaux. Car je suis un dessinateur qui produit des tableaux ! »
Son arrivée à Cenon, une bouffée d'air et d'art
« Être plasticien, c’est un engagement, un combat. Je suis enseignant auprès des publics amateurs : enfants, ados, adultes. Venir à Cenon m’a donné plus de temps, plus d’espace, une quiétude pour poursuivre. Enfin un espace de travail que je n’avais pas avant (10 m2 à peine en région parisienne) ! Mon garage réaménagé en atelier (avec une aide à l’installation de la DRAC). Une façon plus détachée (c’est paradoxal car mon travail induit une concentration maximale), un recul plus grand par rapport à ma pratique. Ici je suis plus serein. J’ai compris que je continuerai à créer même avec des difficultés, même incompris, même dans la solitude, car ce travail est fondamental pour moi. Ici, j’ai plus de perspectives pour créer et un désir d’approfondir des questions irrésolues jusqu’alors dans mon travail. Oui, je produis plus d’œuvres : 6 au lieu de 3. Je suis très lent et cela ne s’arrange pas (rires), mais c’est le temps de la création, et pour moi, presque une forme de résistance. La production artistique actuelle est devenue folle, il y a tant d’œuvres d’art à la surface de la planète… Je préfère faire peu que de produire à tout prix dans un monde qui privilégie la quantité à la qualité. Je m’inscris dans cette temporalité de lenteur et l’assume entièrement. »
Un fantôme au Château Palmer
« Le titre part d’une de mes œuvres récentes que j’ai voulu faire dialoguer avec le lieu qui est un château. Faire un parallèle entre l’idée de château hanté avec des apparitions et renvoyer une image humoristique et presque cinématographique du lieu, en prenant pour amorce cette œuvre récente autour de laquelle vont se déployer d’autres œuvres plus anciennes ou récentes, bref, mon univers de formes confronté avec l’idée de surnaturel, d’apparition. »
Un stage d'art plastique du 18 au 20 mars
« Il y a d’abord le temps du vernissage (le 12 février). J’aime apporter des éclairages au public, le rencontrer, lui expliquer dans quelles conditions les travaux ont été produits. Mais pour aller plus loin, pendant l’expo au Château Palmer, je vais aussi animer un stage de 3 fois 2 h ouvert à tous les publics à partir de 15 ans. Faire travailler les amateurs dans l’esprit de ma démarche, sur la création d’un tableau (en peinture acrylique). Ils vont expérimenter le lâcher prise puis se responsabiliser, pour savoir si cette spontanéité peut être domestiquée ou affranchie (figuratives ou abstraites). À eux d’imaginer une construction à partir de l’amalgame de formes créées librement. Je vais leur donner des clés, une méthodologie pour la suite, les encourager à laisser de côté leurs affects, pour ouvrir le champ des possibles au maximum, ne pas le restreindre trop vite, ceci à travers l’image. »
Le paradoxe de la pratique artistique
« C’est de s’amuser sérieusement, se laisser aller mais à ne pas faire n’importe quoi. C’est difficile à expliquer au public. Soit on est très sérieux, et on se dit, oui, cet arbre que je crée doit ressembler à un arbre, sinon tout est foutu… soit on se lâche, on y va, on se moque du résultat ! Mais entre ces 2 postures - là, il y a un faisceau de nuances à trouver. Ce n’est pas parce que l’on jette des formes non préconçues sur le papier que l’on n’est pas à l’origine derrière d’une image à construire et à assumer. »